jeudi 20 mars 2014

Le Roman Feuilleton

Aventures Vénitiennes
L'Alcyon de Nanard
Chapitre 2: Sanson et Guidon (suite)




Songeur, l'inspecteur Dell'Orto contemplait en silence la veuve, toujours dressée dans la cour de la prison, et à côté de laquelle le cercueil de Komodd attendait le passage du croque-mort. Le bourreau et ses assistants avaient déjà lavé à grande eau le pavage. Sa propreté, anormalement brillante, soulignait le côté sinistre de la scène.
Etait-ce cette ambiance pesante, la nouvelle de l'évasion d'un dangereux criminel, ou bien tout simplement le déplaisir d'être sur le pont si tôt après avoir été réveillé en sursaut ? Toujours est-il que le jeune inspecteur sentait la mauvaise humeur se répandre en lui au point d'irradier les environs. La preuve, chacun prenait bien garde, tout en vaquant à ses occupations, de ne pas violer le périmètre de rogne qu'il avait dressé autour de lui.
Walter ressentait l'agitation qui régnait dans l'établissement : Goodtime ne pouvait pas être loin, il était peut-être même encore dans les murs de la maison d'arrêt. Alors gardiens et flics se livraient à une fouille systématique des lieux.
Lui restait là, face à l'échafaud. Immobile. Laissant vaquer son esprit morose sans chercher à le guider. Au milieu de l'agitation des servants de la guillotine et des gardiens à la démarche précipitée, il donnait l'impression de somnoler. En fait, il s'imprégnait.

« Hé, Walter ! Tu dors ou bien tu rêves ? »
La voix de basse ponticaude de l'inspecteur Gürtner résonna longtemps entre les murs de la prison.
D'abord immobile, comme s'il n'avait rien entendu, Dell'Orto sembla réprimer un frisson et s'anima.
« Quoi, qu''est ce qu'il y a ? » finit-il par répondre, d'un ton maussade, avant de se diriger vers l'entrée du quartier des détenus tirant des peines lourdes.
Dans le couloir, il rejoignit son coéquipier à côté duquel se tenait un petit homme d'un âge moyen, au teint livide. La manière dont il se tenait, tassé sur lui même, les épaules affaissées ; son visage aux traits tirés, ses yeux angoissés soulignés de lourds cernes sombres ; tout indiquait en lui l'abattement et la culpabilité. Sans aucun doute un cadre de la pénitentiaire, pensa Dell'Orto.

Ce que confirma aussitôt Gürtner en procédant aux présentations :
« Walter, voici monsieur Giry, qui dirige la prison... L'inspecteur Dell'Orto, mon partenaire. »
Le jeune flic salua l'homme d'un hochement de tête, en lui adressant un regard aigu. L'homme, éperdu, sembla recevoir ce dernier comme une charge supplémentaire ; c'était comme s'il s'affaissait encore un peu plus, tout en s'enfonçant dans le sol.
« Vous produisez beaucoup de farine ? », demanda Walter tout-à-trac, sans lâcher son interlocuteur des yeux.
« -Excusez-moi ?
- C'est grand, ici, pour un moulin... »
Le directeur de la prison se liquéfia encore un peu plus, balbutiant des paroles mêlant excuses et incompréhension. Gürtner vint à son secours :
« C'est pas la peine d'en rajouter, grand, laisse-le souffler un peu... » Walter opina, sans pour autant cesser de darder un regard inquisiteur sur son interlocuteur.
« Je crois que nous devrions jeter un œil à la cellule de Goodtime, plutôt que de nous chicaner », reprit le vieux flic en tournant les talons. Les nouveaux amis lui emboîtèrent le pas sans dire mot.

Les deux policiers savaient que des agents avaient déjà fouillé la cellule de fond en comble. Pourtant, ils l'inspectèrent soigneusement, en silence, jusque dans le moindre éclat de plâtras, vérifiant même les planches du bât-flanc... Rien n'échappa à leur minutieuse exploration. Mais ils ne trouvèrent pas la moindre trace. Aucun indice. Nib.
Debout dans l'encadrement de la porte, le directeur de la prison semblait de plus en plus malheureux, de plus en plus défaillant, de moins en moins directeur. Au point qu'à un moment, Gürtner lui tendit le tabouret habituellement dévolu aux détenus pour qu'il s'asseye, le temps de se reprendre.
Dans le même temps, les brigadiers responsables des différentes équipes de fouilles et de recherches dans les différentes partie du bâtiment carcéral rapportaient tous le même rapport : rien.

Pas de tunnel, pas de barreau scié, pas d'outil ou de tissus tressés, pas de planque, pas d'outil manquant.. C'était comme si ce salaud de Goodtime s'était, tout simplement, envolé.

Une fois ce constat confirmé de façon indéniable, les deux flics commencèrent par rester immobiles, un long moment, cependant que le pauvre Giry, visiblement à la torture, se tortillait tant et plus sur son tabouret.
Puis, dans une même inspiration, Gürtner et Dell'Orto scrutèrent à nouveau l'intérieur de la cellule. Ils tournaient lentement sur eux mêmes, en silence, comme pour se nourrir de ce mystère au goût, amer, d'échec.
Enfin, ils se tournèrent, simultanément, comme si cela faisait déjà des décennies qu'ils faisaient équipe, vers le directeur, qui se leva prestement, malgré ses jambes chancelantes.
« Allons dans votre bureau, monsieur Giry. La situation est sérieuse. »
Le fonctionnaire acquiesça puis s'engagea dans le couloir d'un pas trottinant, suivi par les démarches lourdes de questions de la paire d'enquêteurs.
Une fois dans le bureau, Dell'Orto invita Giry à s'asseoir, tout en saisissant une chaise sur laquelle il s'assit à califourchon. Gürtner resta debout dans l'encadrement de la porte, bras croisés, après l'avoir lentement fermée en s'assurant qu'il n'y avait personne d'autre dans le couloir.
C'est lui qui prit la parole :
« Monsieur Giry, nous avons un sérieux problème : Goodtime ne s'est pas évaporé. Il est évident qu'il n'a pas pu s'évader seul... »
A chaque phrase, le directeur pâlissait un peu plus, et semblait s'enfoncer sous son bureau, sous le regard acéré de Dell'Orto.

Gürtner continuait, sans s'en préoccuper :
« Je n'irai pas par quatre chemins : Goodtime a bénéficié de complicités dans votre personnel. »
Giry, le regard égaré, cherchait de l'air, comme s'il venait d'encaisser une série de directs au plexus. Avant qu'il se soit ressaisi, Dell'Orto enchaîna, impitoyable :
« Nous allons donc devoir interroger de manière approfondie chaque personne qui travaille ici. »

Un silence pesant s'abattit sur le bureau. Malgré la lumière matinale, la pièce restait dans une semi-pénombre, et le ventilateur ne parvenait déjà plus à rafraîchir l'atmosphère... Gürtner et Dell'Orto fixaient Giry, le visage neutre, sans faire mine de vouloir reprendre la parole. Le regard éperdu du directeur, allait sans cesse de l'un à l'autre, semblant quêter en vain un encouragement... Un signe de connivence ? En vain.

Le temps s'étirait en une éternité, juste circonscrit par ce triangle silencieux de regards.

Puis Giry prit son souffle :

« Ecoutez, je... »
C'est le moment que choisit le téléphone pour sonner. Décrochant d'un geste rageur, le directeur s'emporta :
« Je vous ai dit de ne pas me déran... Quoi ?... Mon... Oncle ? » Il blémit. « Euh... Bon... Passez le moi... »
Au terme d'une courte pause, le nasillement d'une voix résonna dans l'écouteur.

C'est le moment que choisit Alphonse Giry, Directeur d'Etablissement Pénitentiaire de seconde classe, pour enfin s'évanouir.

A Suivre ...


© - France – 2014 – Bruno Deléonet pour Scotapowa Rumble – 06 87 16 82 38 – bruno.ledm@gmail.com

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