mardi 1 octobre 2013

Le Roman Feuilleton

Aventures vénitiennes 
L'Alcyon de Nanard
Chapitre 1: Roberval et Robespierre
Deuxième partie




(résumé : Nanard, jeune instituteur, s'offre une motobylette. Fredo, souteneur fragile, attend de passer à la casserole au commissariat...) 

Une voix grave, au fort accent des ponts, s'exclama : « Filh de garça ! Quel est l'entropé qui m'a détauvéré cette chaise au milieu du couloir ? »
Fredo réprima un sourire en reconnaissant la voix de l'inspecteur Gürtner, un vieux flic qui avait dû naître derrière le comptoir du commissariat tant il lui ressemblait : poussiéreux, vermoulu, mais avec une façade de bon aloi qui cachait un intérieur plein de vices. Au ton employé par le poulet, il sentit qu'il n'allait pas falloir la ramener...
Effectivement, le vieux policier entra dans le bureau en boitillant, l'air renfrogné. En manches de chemise, il se frottait un genou. Derrière lui, Fredo ne remarqua pas tout de suite le deuxième homme. Il faut dire qu'il était frêle et discret, avec un visage poupin qui portait toute la naïveté du monde.

Avisant Fredo Barbotine, Martial Gürtner se tourna vers lui, l'air mauvais, sans dire un mot. Le mac avala sa salive, baissa la tête et sembla s'enfoncer dans son siège. Une retentissante torgnole le fit aussitôt se relever. Il en était sûr, quelque chose avait claqué dans sa mâchoire, mais ce n'était pas le moment de la ramener.

« Tu te lèves, quand monsieur Dell'Orto entre dans la pièce ! », gueula Gürtner.
Fredo se mit vivement debout, levant la tête vers le nouvel arrivant, avec un regard implorant.
« Ta gueule ! » Une nouvelle baffe, lourde et sentant le petit gris que fumait le vieux flic, le cueillit et il se trouva de nouveau assis, reniflant une goutte de sang qui perlait au bout de son nez...
« Mais j'ai rien dit, moi... », osa-t-il murmurer. « Et puis c'est qui, monsieur Del, Del machin, là ? »

Gürtner arma de nouveau son bras, mais le jeune policier s'avança alors, faisant le tour de son massif collègue. « C'est moi, monsieur Barbotine. Vous ne me connaissez pas encore, mais vous verrez, on va beaucoup se croiser »...
Ce disant, l'air naïf avait progressivement disparu sur le visage du jeune homme, laissant la place à une dureté plutôt inattendue.

Fredo s'enhardit : « Et... euh... Vous êtes flic ?
- Non, je suis agent secret, spécialisé dans les soucoupes volantes, et je suis là pour vérifier que vous n'êtes pas un martien », répondit Dell'Orto d'une voix doucereuse et ironique, qui laissait percer une menace diffuse...
Le souteneur se décomposait à vue d'oeil : « Sans... Sans blague ? »
Les deux flics se regardèrent et éclatèrent de rire. Puis Gürtner reprit la parole : « Allons mon Fredo... Tu n'es pas sérieux, j'espère...
- Ben... »

Comme dans un numéro bien huilé, le jeune condé enchaîna : « Je suis l'inspecteur Walter Dell'Orto, je sors de l'école supérieure de police, et je suis affecté ici, à Limoges.
- L'école supérieure de police, mon gars », souffla Gürtner. « Et tel que tu le vois, monsieur a son bac... Alors va falloir que tu le respectes. Et que tu lui chantes la bonne chanson... »
Fredo renifla à nouveau et tenta un vague sourire : « Oh, mais je demande pas mieux, vous savez bien, monsieur l'inspecteur...
Parfait, alors », sourit Gürtner. « Alors foin de mondanités, passons aux choses sérieuses : tu as entendu parler de Goodtime et Komodd ? »

Bien sûr, que Fredo en avait entendu parler. Tous les deux étaient des anciens déserteurs, l'un de la 101ème Airborne et l'autre de la Waffen SS, qui avaient pris la nationalité française après la libération... Deux bonnes pâtes, qui n'avaient rien trouvé de mieux depuis lors que de braquer banques et bijouteries, en laissant un chapelet de joli petits cadavres torturés derrière eux.
Heureusement, ces deux malades avaient fini par se faire serrer. Procès rapide, sentence quasi immédiate et prévisible. Et maintenant, enchristés à Limoges, car leurs avocats n'avaient pas réussi à plaider l'irresponsabilité, ils attendaient le petit matin gris, dans le froid coupant duquel ils iraient du cigare...

Un silence pesant s'était installé à l'évocation de ces deux noms. Dell'Orto le rompit d'une voix douce : « il paraît qu'on parle beaucoup d'eux, ces temps-ci chez ces messieurs. Et pas pour la cérémonie qu'on imagine... Alors tu te rencardes et tu reviens à confesse... »
Fredo n'aimait pas beaucoup ça. Aller fouiner dans le mitan à quelques jours d'une exécution, ça n'allait pas être du nanan... Faudrait être discret et délicat, prendre son temps...
« … Et le plus vite possible », poursuivit le jeune flic. « Je vais te faire une confidence, le charpentier est à l'oeuvre... »
Retenant à grand peine un besoin soudain pressant, Fredo leva un doigt timide et tremblant : « je... je peux y aller, là ? »

A suivre ...


© - France – 2013 – Bruno Deléonet pour Scotapowa Rumble – 06 87 16 82 38 – bruno.ledm@gmail.com

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire